Défaut de visite de "reprise" : quelles conséquences ?
Un salarié est licencié pour abandon de poste pour ne pas s’y être présenté à l’issue d’un arrêt de travail pour maladie, il entame alors un parcourt judiciaire en contestation de la rupture, qui après la Cour d’appel de NANCY ( arrêt du 05 décembre 2008 ), le conduit devant la Cour de cassation sur pourvoi de l’employeur.
L’arrêt confirmatif de la chambre sociale de la Cour de cassation du 28 avril 2011 ( n° 09-40487 : FS-P+B ) et qui clôture le débat, rappelle que : « seul l’examen pratique par le médecin du travail en application des articles R. 4624-21 et R. 4624-22 du code du travail met fin à la suspension du contrat de travail et qu’il incombe à l’employeur de prendre l’initiative de cette visite médicale et de convoquer le salarié par tous moyens ».
L’arrêt précise surtout que l’absence de visite médicale de reprise à l’issue de l’arrêt de travail exclue toute notion « d’abandon de poste » du salarié, même s’il ne s’est jamais présenté à son poste.
Pourtant, rien que de plus logique.
Comment, en effet, reprocher à un salarié de ne pas reprendre son emploi à la fin d’un arrêt de travail nécessitant une visite médicale de reprise, alors même que la dite visite a pour but de vérifier l’aptitude du salarié au poste et que le contrat de travail est suspendu tant que le médecin n’a pas procédé à ses constatations ?
I : L’impossibilité pour le salarié de reprendre son poste en l’absence de visite de reprise :
En application de l’article R 4624-21 CT, le salarié bénéficie d’un examen de reprise de travail par le médecin du travail :
• Après un congé de maternité ;
• Une absence pour maladie professionnelle ;
• Une absence pour accident de travail d’au moins 08 jours ;
• Une absence d’au moins 21 jours pour cause de maladie ou d’accident non professionnel ;
• En cas d’absences répétées pour raisons de santé.
L’art. R 4624-22 CT précise que l’examen de reprise a pour objet d’apprécier l’aptitude médicale du salarié à reprendre son ancien emploi, la nécessité d’une adaptation des conditions de travail ou d’une réadaptation du salarié ou éventuellement de l’une et de l’autre de ces mesures et qu’il doit avoir lieu lors de la reprise du travail et au plus tard dans un délai de 08 jours.
La Cour de cassation considère de manière constante que « seule la visite médicale de reprise met fin à la période de suspension du contrat de travail » et que « le non-respect de cette obligation par l’employeur cause nécessairement un préjudice au salarié ».
Cass. soc. 12 novembre 1997, Bull Civ V n° 366
Cass. soc. 13 décembre 2006, n° pourvoi 05-44580
La haute juridiction considère aussi de manière constante que cet examen obligatoire est une formalité substantielle en l’absence de laquelle la suspension du contrat de travail perdure. Sa date fixe, par conséquent, de manière formelle, la fin du de la période de suspension.
Cass soc. 22 mars 1989, Bull. civ. V, n° 235
Cass soc. 28 février 2006, Bull civ. V, n° 87
C’est à l’employeur de prendre l’initiative d’organiser la visite médicale de reprise qui met seule un terme à la suspension du contrat, même si le salarié est placé en invalidité.
Cass soc 25 janvier 2011 n° 09-42766
Cass soc 15 février 2011 n° 09-43172
L’employeur ne peut donc exiger d’un salarié qu’il reprenne son emploi après un arrêt de travail pour maladie de 21 jours au moins ou pour un AT de 08 jours au moins, sans que son aptitude ait été appréciée par le médecin du travail, de sorte qu’un salarié qui n’a pas bénéficié de cet examen ne peut être, par définition, en situation d’abandon de poste.
« Attendu que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, doit en assurer l’effectivité ; qu’il ne peut dès lors laisser un salarié reprendre son travail après une période d’absence d’au moins huit jours pour cause d’accident du travail sans le faire bénéficier, lors de sa reprise du travail, ou au plus tard dans les huit jours de celle-ci, d’un examen par le médecin du travail destiné à apprécier son aptitude à reprendre son ancien emploi, la nécessité d’une adaptation des conditions de travail ou d’une réadaptation ou éventuellement de l’une et de l’autre de ces mesures ; que la cour d’appel, ayant constaté l’absence de visite de reprise par le médecin du travail jusqu’au 16 mars 2006, en a exactement déduit que le contrat de travail avait été suspendu jusqu’à cette date, peu important la reprise effective du travail ».
Cass soc 30 novembre 2010 n° 09-40160
Ainsi, tant que la visite médicale n’a pas eu lieu le contrat de travail est suspendu de sorte que le salarié ne peut pas travailler et l’employeur qui dispose de 08 jours pour organiser cette visite médicale, ne peut donc prétexter de l’absence de reprise du travail pour ne pas organiser la visite ( mais il doit néanmoins, à notre sens, régler une indemnité compensatrice des salaires perdus ).
Au-delà des 08 jours l’employeur est irrémédiablement fautif, ce qui peut entraîner une rupture du contrat à ses torts.
Cass soc 06 octobre 2010 n° 09-66140
La cour d’appel de TOULOUSE a aussi condamné un employeur qui n’ayant pas procédé à la visite médicale de reprise de sa salariée et l’avait licencié pour abandon de poste. Dans sa décision, la cour d’appel a considéré d’une part : « Il ne peut être reproché une faute grave au salarié malade qui n’a pas été soumis à la visite de reprise à l’issue d’un arrêt de travail de plus de 21 jours lorsque les faits qui lui sont reprochés consistent à ne pas avoir repris le travail à une date à laquelle il n’y était pas tenu », d’autre part, « en l’absence d’une visite médicale de reprise, que l’employeur n’avait pas provoquée, il demeurait dans l’ignorance de l’aptitude de son salarié à reprendre son emploi. Ayant de ce fait manqué à son obligation de sécurité résultat en matière de protection des travailleurs, il ne disposait pas de la faculté de rompre le contrat de travail en se fondant sur l’absence du salarié à son poste de travail. Dès lors, l’absence injustifiée ne peut être reprochée au salarié et qu’en conséquence aucune faute n’est établie, le licenciement est frappé de nullité ».
CA TOULOUSE 14 mai 2010, n° 09/01570
Mais, l’employeur doit-il organiser la visite de reprise si le salarié ne fait pas, au moins, la démarche de se présenter à lui après la fin de l’arrêt de travail ?
A l’évidence la réponse est oui.
II : Le salarié n’a pas l’obligation de se présenter chez son employeur à l’issue de l’arrêt de travail :
A notre sens, il n’incombe même pas au salarié de se présenter à son employeur pour bénéficier de l’examen de reprise.
En effet, si la rédaction maladroite de l’art. R 4624-22 CT pourrait laisser à penser que l’examen médical ne peut être organiser que si le salarié reprend son travail : « il [ l’examen ] doit avoir lieu lors de la reprise du travail et au plus tard dans un délai de 08 jours », il faut noter que cet article prévoit un cumul de conditions pour que la reprise du travail soit possible : un examen et un délai, de sorte que c’est bien l’examen lui-même qui entraîne la reprise du travail et non la fin de l’arrêt de travail.
Avant l’examen de reprise, l’employeur ne peut donc rien exiger du salarié, ni qu’il travaille, ni qu’il se présente à lui et il ne dispose ni de son pouvoir disciplinaire, ni de son pouvoir de direction, puisque répétons-le, le contrat de travail est suspendu jusqu’à la visite de reprise.
Pour exemple, la haute juridiction considère que l’employeur ne peut contraindre le salarié à prendre ses congés payés tant que le contrat de travail est suspendu.
Cass soc. 31 octobre 2000, n° pourvoi 98-23131
Il faut cependant noter que les employeurs attendent généralement le retour du salarié pour organiser la visite de reprise et que très souvent le salarié est affecté à son poste de travail jusqu’à la visite de reprise. Les employeurs considérant à torts que la loi leur offre une souplesse de 08 jours pendant laquelle le salarié doit exécuter son contrat de travail.
Cette souplesse est trompeuse, car en réalité, la notion même de suspension du contrat empêche toute venue sur le lieu de travail du salarié dont l’aptitude n’a été constatée, de sorte que les employeurs seraient bien inspirés de demander à leurs salariés, à l’issue d’un arrêt de travail nécessitant une visite de reprise, d’attendre une convocation chez le médecin du travail.
Mais, ne peut-on aller plus loin et considérer qu’un licenciement prononcé pour abandon de poste pour défaut de « reprise du travail » à l’issue d’un arrêt nécessitant une visite de reprise jamais organisée, est nul ?
III : A défaut de visite de reprise, le licenciement pour « abandon de poste », est toujours nul :
En février 2006, la haute cour a jugé pour la première fois que « l’employeur qui laisse un salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle reprendre son travail sans avoir bénéficier de cet examen [ visite médicale de reprise ], dans le délai maximum de 08 jours après la reprise, ne peut ultérieurement licencier le salarié dans les conditions prévues à l’article L. 1226-9 du CT [ interdiction du licenciement pendant un arrêt de travail AT sauf faute grave ou impossibilité de maintenir l’emploi ] ». La sanction de cette méconnaissance est la nullité du licenciement.
Cass soc. 28 février 2006, n° 835 - RJS 5/06 n° 555
On notera que la haute juridiction ne se positionne pas seulement au regard de la prohibition du licenciement d’un accidenté du travail pendant la période de suspension du contrat de travail, mais aussi et surtout sur l’obligation pour l’employeur de s’assurer que le salarié a effectivement bénéficié de la visite médicale de reprise.
Ainsi, passé le « délai de 08 jours », la prohibition du licenciement d’un salarié en suspension de son contrat de travail AT est donc absolue, car présumée de façon irréfragable comme prononcée à raison de l’état de santé ou du handicap.
Rappelons aussi que dans son arrêt du 14 mai 2010 précité, la cour d’appel de TOULOUSE a décidé que : « l’absence injustifiée ne peut être reprochée au salarié et qu’en conséquence aucune faute n’est établie, le licenciement est frappé de nullité ». Et ce alors qu’il ne s’agissait pas d’un AT.
CA TOULOUSE 14 mai 2010, n° 09/01570
Sans le dire explicitement, la Cour d’appel s’appuie sur les articles L 1132-1 et L 1134-1 CT qui disposent : « Aucun salarié, ne peut être licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de son état de santé » et « Le salarié concerné présente les éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte et il incombe à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le juge formant sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toute mesure d’instruction qu’il estime utile ».
L’existence d’une discrimination en raison de l’état de santé ( motif déguisé ) est difficilement décelable et s’avère parfois impossible à mettre en évidence lorsque l’employeur a mis fin à la relation de travail sans invoquer de motif précis ou en s’appuyant sur un motif quelconque ( motif apparent ).
***
On devra considérer que l’absence de visite médicale de reprise suivie d’un licenciement pour « abandon de poste », est toujours nul car constituant un licenciement présumé discriminatoire à raison de l’état de santé ou du handicap.
Alain HINOT
Articles de cet auteur
- Prud’hommes : le nouveau monopole des "défenseurs syndicaux" attaqué devant le Conseil d’Etat
- Désignation des DS : l’OIT demande à la France de réviser sa copie
- L’annulation d’un avis d’inaptitude prive de cause le licenciement intervenu
- Les droits du délégué syndical sont peut être mieux protégés par le code civil que par l’OIT
- Structure de la rémunération - avantage acquis - modification unilatéralement par l’employeur
- [...]
RSS fr RSSJurisprudence commentée RSSRupture du contrat de travail ?